Conseil d’Etat, audience du 25 février 2022
Arromanches, le 3 mars 2022
Nous avons engagé différentes actions en justice ces derniers mois, à la Cour administrative d’appel de Nantes dans un premier temps (novembre 2020), puis au Conseil d’Etat (février et avril 2021).
Nous avons fait plusieurs requêtes devant des juridictions différentes, car la réglementation a changé en mars 2021 : le Conseil d’Etat est depuis cette date l’unique juridiction compétente en premier et dernier ressort en matière d’énergie renouvelable en mer.
Le sujet de fond que nous présentons fut à chaque fois le même, et a été pour la première fois examiné lors de l’audience publique du 25 février 2022, la semaine dernière.
Notre propos consiste à contester les autorisations de construction et d’exploitation du parc éolien en mer de la société Eolien Maritime France, retenue en 2012 par le Ministère de l’Ecologie pour réaliser les trois projets de Courseulles (14), Fécamp (76) et Saint-Nazaire (44).
Notre argument est que la société Eolien Maritime France est aujourd’hui totalement différente de l’entreprise retenue en 2012.
C’est en effet une société de projet (SPV, special purpose vehicle en anglais), au capital de 37 000 euros, dépourvue d’effectif, de moyen et d’expertise propre, et créée spécifiquement pour le projet.
Cette société avait été retenue grâce à la qualité de ses actionnaires de l’époque, qui étaient les intervenants prévus du projet, à savoir EDF (60%), et le danois Dong Energy (40%), leader mondial de l’éolien en mer.
Or Dong Energy a revendu ses parts en 2016, et le canadien Enbridge, société spécialisée dans le transport de pétrole par oléoduc, a acquis pour 191 millions d’Euros 50% d’Eolien Maritime France, pourtant au capital de 37 000 EUR et affichant un dernier chiffre d’affaires (comptes 2015) de 1,9 M EUR.
Ainsi, nous sommes ici témoins du grand Monopoly des contrats publics, que les industriels se rachètent au prix fort, au mépris des règles de concurrence. En pratique, la société de projet agit en réalité comme une société écran puisqu’elle occulte le changement d’un fournisseur majeur choisi par l’Etat.
L’audience du 25 février 2022 s’est tenue en "chambres réunies" (5ème et 6ème chambre). Cette formation en chambres réunies est un indice de l’intérêt et/ou de la complexité du dossier (en effet, au Conseil d’Etat, et comme indiqué sur son site internet, une "chambre jugeant seule juge des affaires ne posant pas de difficultés particulières" ; à l’inverse, "Le nombre de juges sera supérieur pour les affaires présentant une difficulté juridique. La chambre qui instruit l’affaire la jugera avec l’aide d’une autre chambre. 9 conseillers d’État composent la formation de jugement que l’on appelle « chambres réunies »").
Au cours de l’audience, deux types de sujet ont été examinés :
- Les moyens de procédure : faut-il écarter notre recours au motif de la tardiveté ? ou de l’intérêt à agir des associations requérantes ?
- Le moyen de fond, concernant l’utilisation détournée d’une société de projet, agissant comme "société écran" pour contourner les règles de mise en concurrence.
Lors de l’audience, le rapporteur public a prononcé ses conclusions, en proposant de rejeter les requêtes au fond.
Il a tout d’abord écarté les principales fins de non-recevoir adverses, puis a expliqué que la question essentielle à trancher était celle de la stabilité de l’actionnariat, en considérant qu’en l’absence de mention dans le cahier des charges, il n’y avait pas lieu de réécrire l’histoire.
Les affaires ont alors été mises en délibéré, et nous avons produit le soir même une note en délibéré sur l’importance de la stabilité actionnariale dans le cadre spécifique d’une société de projet.
En effet, nous voulons mettre en évidence qu’en cas de maintien des autorisations à Eolien Maritime France, l’administration deviendrait triplement perdante :
- elle rendrait inutile toute procédure de mise en concurrence (puisqu’un contrat peut être cédé par un mouvement masqué d’actionnaires),
- elle ne disposerait pas des intervenants qu’elle a choisis pour faire les projets, en particulier de l’expert mondial de l’éolien en mer
- elle paierait 10 milliards de subventions en pure perte (car les mêmes projets attribués aujourd’hui se feraient sans subvention) dont la moitié détournée au profit d’un investisseur et d’un fonds de pension canadiens.
Nous attendons la décision du Conseil d’Etat courant mars 2022.