Notre lettre ouverte au Premier Ministre

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Arromanches-Les-Bains, le 6 juin 2018

Monsieur le Premier Ministre,

Vous avez annoncé ces dernières semaines votre intention de revoir les conditions d’attribution des six premiers projets de parc éolien en mer français. Ces contrats attribués en 2012 et 2014 n’ont pas encore donné lieu aux premiers travaux d’installation en mer, ce qui permet encore de prendre des décisions importantes sans subir la pression des coûts déjà engagés.

Les dernières années ont connu des évolutions significatives des techniques et des positionnements industriels qui ont totalement modifié l’équation économique des projets éoliens en mer en Europe.

Notre association Libre Horizon se préoccupe en particulier du complexe éolien offshore projeté devant le port artificiel d’Arromanches, en plein milieu de la zone maritime proposée à l’inscription des Plages du Débarquement sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco. Nous venons de tous horizons, sommes de sensibilités politiques différentes, dans des domaines professionnels multiples, et parfaitement conscients des enjeux écologiques de notre pays et de notre planète.

Notre opposition se veut constructive depuis l’origine, en proposant des lieux d’implantation alternatifs, plus éloignés des côtes et donc hors de vue des rivages, comme le font désormais tous nos voisins européens.

Sans contester l’opportunité en 2012 de l’attribution de ce contrat, il nous semble nécessaire de rappeler que la plupart des arguments de l’époque sont aujourd’hui caducs :

  • L’ambition initiale de créer une [bleu]filière industrielle française[/bleu] de l’éolien offshore est désormais, de fait, [bleu]abandonnée[/bleu]. En effet, Alstom et Areva étaient à l’époque les deux industriels engagés pour la production de turbines de nouvelle génération ; ils ont été choisis dans les 6 contrats attribués en 2012 et 2014. Ces deux acteurs français ayant renoncé à conserver ces activités, il nous semble voir se reproduire ce qui s’est passé dans l’éolien terrestre, récemment critiqué par la Cour des comptes : les subventions à cette filière profitent exclusivement aux industriels étrangers .
  • Le [bleu]montant élevé des contrats[/bleu] devait permettre de financer un [bleu]transfert d’expertise vers la France[/bleu] de la part des leaders européens, [bleu]qui n’aura pas lieu[/bleu]. Ainsi, le consortium Eolien Maritime France retenu dans 3 projets était constitué à 60% d’EDF Energies Nouvelles et 40% du leader danois DONG, choisi pour sa position établie dans l’éolien offshore et son réseau de sous-traitants en Europe . Dong a finalement cédé en 2016 sa participation dans le contrat au canadien Enbridge, spécialiste du transport de pétrole par oléoduc, qui reconnaissait alors "ces investissements très attractifs" du fait des prix de rachat garanti particulièrement élevés .
  • [bleu]Le montant de la subvention publique[/bleu] accordée à ces projets devient totalement [bleu]disproportionné[/bleu]. La Cour des Comptes et la Commission de régulation de l’énergie rappelaient dernière-ment que la charge publique de soutien à l’éolien offshore représenterait 2 milliards d’Euros par an pendant 20 ans, du fait d’un prix de rachat garanti supérieur à 200 EUR par MWh . Par comparaison, du fait de l’évolution des technologies depuis 10 ans, les contrats éoliens offshore sont actuellement attribués par les pays de l’Europe du Nord entre 50 et 80 EUR par MWh, et parfois même sans subvention publique (Pays-Bas, Allemagne) .
  • [bleu]Le bilan social est également dérisoire[/bleu] : l’argument principal des attributaires français de ces projets devient la promesse de création de [bleu]15 000 emplois[/bleu] pour cette nouvelle filière . Or ce chiffre, rapporté aux 2 milliards de subvention publique consentis chaque année pendant 20 ans, révèle le coût prohibitif de ces projets : [bleu]chaque emploi[/bleu] créé serait ainsi [bleu]subventionné[/bleu] à hauteur de [bleu]130 000 EUR chaque année[/bleu] par le contribuable pendant 20 ans. Assurément, nous pouvons trouver de biens meilleurs rendements sociaux aux investissements publics, y compris dans le développement d’énergies propres en France.
  • Enfin, le projet éolien prévu devant Courseulles et Arromanches constitue selon nous une profanation du [bleu]cimetière marin du Débarquement[/bleu] en Normandie. Nous célébrerons dans un an jour pour jour le 75ème anniversaire de cette opération qui a ramené la paix en Europe, et serons sur le point de recevoir la réponse de l’UNESCO à la candidature française pour l’inscription des Plages du Débarquement de 1944 en Normandie sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité. Il est inconcevable que [bleu]l’UNESCO[/bleu] donne suite positivement à notre candidature en positionnant [bleu]en plein milieu des sites proposés[/bleu] (zone 9 : vestiges subaquatiques , jusqu’à 20 km des côtes), un complexe éolien majeur.

    Cette inscription UNESCO serait pour notre territoire normand une magnifique opportunité de poursuivre le développement du tourisme de mémoire dans notre région, avec les milliers d’emploi durables, non délocalisables et non subventionnés qu’il occasionnerait.

    En vous remerciant pour votre attention et vos décisions éclairées sur ce sujet, je vous prie, Monsieur le Premier Ministre, de bien vouloir agréer l’expression de mes respectueuses salutations.

Elsa Joly, Présidente de Libre Horizon

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