Protégeons les espèces protégées avec des éoliennes à 40 km des côtes !

Arromanches, le 28 janvier 2024

Questionné sur l’opportunité de déroger à la réglementation stricte relative aux espèces protégées pour installer le parc éolien en mer de Courseulles-sur-Mer, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a émis le 8 août 2023 un avis défavorable concernant l’implantation des 64 éoliennes en mer devant les Plages du Débarquement, considérant d’une part qu’une implantation à 10 km de la côte est totalement insuffisante pour l’éolien offshore, et d’autre part que ce "site hautement symbolique au niveau mondial en tant que plages du Débarquement revendiquant son classement à l’UNESCO" dispose d’une réelle alternative, "la zone de Barfleur [à 35 km des côtes] puisque le même opérateur EDF a obtenu en 2023 d’y installer un nouveau parc".

Lire le rapport complet de la CNPN :

Pour ceux qui désirent approfondir le sujet, voici ci-dessous la présentation de l’étude de M. Michel Collard, que nous remercions infiniment pour son travail exceptionnel :

Impacts du parc éolien de Courseulles et mesures correctives ou compensatoires envisagées

A : MAMMIFERES MARINS :

1- Grands dauphins :

La population de grands dauphins concernée par le projet est suivie depuis de nombreuses années par divers acteurs : autorités et associations, ONG, particuliers. Elle compte parmi les plus grandes populations sédentaires européennes.

Les échanges entre populations européennes sont à ce jour trop méconnues pour que l’impact et les conséquences des dommages subis par une population localisée soit évalués à un niveau satisfaisant et pertinent.

Les grands dauphins sont protégés au titre de nombreuses conventions, directives et accords internationaux transposés dans le droit français.

En conséquence il ne peut être dérogé à ces régimes de protection que dans le cadre stricte défini par l’article L411-2-4° du Code de l’environnement : « 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle... »

Il ressort de ces appréciations de la commission n’a pas considéré que « la condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur ... » a bien été respectée, d’où les réserves expresses, suggestion et recommandation qu’elle a émises en réponse…

Par ailleurs, il convient d’observer que ce projet spécifique sera réalisé dans le cadre d’un plus vaste programme incluant d’une part un projet similaire situé à Fécamp, et un autre projet, sis en baie de St Brieuc, qui affecteront peu ou prou la même population sédentaire de dauphins.

Dès lors il convient de prendre en considération les avis suivants, émis par le GECC, une OGN spécialisée dans le suivi de cette population.

Dans son Cahier d’acteur, publié en 2013, le GECC ( Groupe d’Etude des Cétacés du Cotentin) a exprimé des recommandations :

Le GECC, cependant, se demande dans quelle mesure les grands dauphins de la mer de la Manche vont pouvoir véritablement s’éloigner de la source des nuisances. Ces animaux, sédentaires et côtiers rap-pelons-le, vont-ils avoir le réflexe de fuir et si oui, où exactement ? Plusieurs projets d’Energies Marines Renouvelables sont projetés en mer de la Manche, dont un projet de parc d’hydroliennes dans le Raz Blanchard, et du projet d’éoliennes à Courseulles-sur-Mer, ce qui limite considérablement les possibilités de fuite pour les grands dauphins.

Sixièmement, il est impératif de modéliser la propagation des nuisances autour de la zone d’implantation du parc éolien, afin d’évaluer, en fonction des paramètres environnementaux (météo, courants, nature des fonds, etc.), jusqu’à quelle distance exactement ces nuisances peuvent impacter les populations de mammifères marins en mer de la Manche.

Au final, le GECC demande qu’un protocole adapté à cette zone, à ses spécificités, à sa taille, aux espèces de mammifères marins qui la fréquentent et aux enjeux que soulèvent leur présence soit élaboré, clairement exposé et ouvertement discuté avec les structures compétentes.

Lien : http://gardezlescaps.org/wp-content/uploads/2015/08/Cahier-dacteur-du-GECC.pdf?fbclid=IwAR1MZAfJ-2y0Jl3GhZPWiuZHfXniDiT15CzCgvnpb7Jqzdae4TQMkOMO9tc

Plus récemment, dans son rapport de synthèse de 2018, le GECC a conclu :

Suivi de la population des grands dauphins sédentaires en mer de la Manche Rapport de synthèse 2018

Le suivi des grands dauphins de la mer de la Manche, tel qu’il a été réalisé entre 2009 et 2018par le GECC, livre les informations suivantes sur ces mammifères marins :

  • Les grands dauphins sont principalement observés dans l’ouest Cotentin, au sein d’un triangle qui va du cap de la Hague, au nord, à la baie du Mont Saint-Michel, au sud, et au cap Fréhel, à l’ouest.
  • A cela s’ajoutent quelques observations en baie de Seine, au niveau de Courseulles-sur-Mer, dans le nord Cotentin, au niveau de Cherbourg, et en baie de Saint-Brieuc.
  • Les grands dauphins sont observés tout au long de l’année, même si les données sont plus rares en hiver.
  • Cette population est côtière : elle ne dépasse que rarement l’isobathe des 20-30 mètres.
  • Cette population est sédentaire puisque, dans l’ensemble, on retrouve les mêmes individus d’une année sur l’autre.
  • Cette population compte entre 380 (IC 95% : 362-415) et 595(IC 95% : 524-671) individus. Il s’agit d’une des plus importantes populations de grands dauphins sédentaires étudiées en Europe.

    Lien : https://www.gecc-normandie.org/wp-content/uploads/2021/04/Suivi-GD_Mer-de-la-Manche_2018.pdf

En conclusion, il ressort de l’analyse conjointe de l’ensemble de ces données, études, et avis, versés au débat, que les risques, dommages, dégradations ou altérations d’habitats qui seront subis directement ou indirectement par les dauphins, et les autres mammifères marins de la zone du projet, et du programme global, et ce, dans un rayons de plus de 33 kms environnant, sont de nature à justifier des études complémentaires, car, les grands dauphins, comme les phoques veaux marins et gris, sont « des espèces côtières » ; et parce que le cumul des opérations de construction projetées rend incompatibles les mesures compensatoires invoquées pour justifier les dérogations consenties localement. En effet, de part leur éthologie, il est illusoire de prétendre compenser l’impact des opérations qui seront subies par ces populations sur des sites d’implantations côtiers par des mesures d’effarouchement, qui les éloigneront vers le large.

Une réponse judicieuse, satisfaisante, et respectueuse de la condition première d’attribution légale des dérogations nécessaires, serait à l’évidence d’éloigner les sites d’implantation des projets de construction vers le large, pour qu’ils ne se chevauchent pas avec les aires de distribution « côtières » des populations concernées…

2 – Autres mammifères marins :

Les autres mammifères concernés sont essentiellement les marsouins et les phoques veaux marins et gris. Tous relèvent d’un niveau de protection identique à celui des dauphins.

On dispose d’informations assez complète en ce qui concerne les phoques, qui font l’objet d’un suivi local depuis plusieurs décennies.

A l’origine, la source de la population locale (Manche Est occidentale) s’est établie en baie des Veys, à environ 40 kms du site du projet de Courseulles sur mer. Elle était composée de Veaux marins exclusivement, qui ont été rejoints par une petite colonie de phoques gris au cours de la dernière décennie.

La protection forte de ces populations, favorisée par la mise en œuvre de la Directive Faune Flore Habitat ( Natura 2000) a favorisé une dynamique des populations très positive, ce qui a conduit à une expansion territoriale de cette colonie vers le nord et, surtout, vers l’est, dont les biotopes sont plus favorables.
Les études menées en 2008/2009 ont permis de définir l’espace vital de ces colonies, c’est à dire les zones exploitées par les phoques dans leur recherche de nourriture, et les zones de repos : cf : file :///D :/Users/Utilisateur/Documents/Gonm/Rapport_ULR_Telemetrie-phoques%202010.pdf

Toutefois, il convient de prendre en considération un effet de cette dynamique favorable essentiel, sensible depuis 2010 : les colonies de base en baie des Veys parvenant à une densité nominale au regard de leurs besoins alimentaires, ont essaimé vers l’est, en baie de Seine, en profitant des efforts de conservation consentis en leur faveur.

C’est pourquoi, depuis quelques années, une nouvelle colonie s’est implantée – à demeure – en baie de l’Orne, à environ 70 kms à lEst de leur site d’origine.

Dans le même temps, les phoques gris et veaux marins ont fréquenté de plus en plus constamment tout le littoral qui s’inscrit entre ces 2 estuaires, qui sont leurs sites de repos essentiels (remises).

Des études menées en baie de Somme et sur la côte d’Opale ont par ailleurs démontré que les phoques gris sont nettement plus erratiques que les phoques veaux marins et que leur aire de rayonnement autour de leurs remises sont beaucoup plus vastes. Par ailleurs, ils exploitent beaucoup plus spontanément les zones maritimes moins côtières.

La population locale de phoques gris est par ailleurs beaucoup plus fragile que celle des veaux marins car elle est issue d’une colonisation très récente de ce secteur (approximativement une décennie) : elle ne compte que quelques poignées d’individus pionniers.

La superposition cartographique des secteurs exploités par les phoques veaux marins et de la zone d’implantation du site éolien de Courseulles, complétée de la représentation du rayon d’impact des dommages (physiologique ou éthologique) générés par la nature des travaux, montre que cette opération risque de compromettre irrémédiablement le maintien au niveau démographique actuel des colonies de la baie des Veys et de la baie de l’Orne.

Mais l’effet le plus indésirable, qui résulte du choix d’implantation du site de Courseulles, reste qu’il réduit à néant le corridor écologique qui lie ces 2 colonies, en même temps qu’il interdit le maintien d’un tel corridor entre les sites Natura 2000 (ZPS et ZSC), constitués d’une part, à l’Est, par l’estuaire de la Seine, et à l’Ouest, par l’unité fonctionnelle écologique de la baie des Veys et des marais du Cotentin et du Bessin.

Il est surprenant dans un tel contexte, que le projet de réalisation de ce site n’ait pas été plus critiqué au regard de son impact réel, alors qu’à l’époque où les études d’impacts et d’incidence ont été dirigées, le Grenelle de l’Environnement avait orienté la stratégie de la politique écologique française vers le développement des Trames Vertes et Bleues, et de corridors fonctionnels indispensables à la réalisation des objectifs fixés par les directives applicables.

B : AVIFAUNE

Considérant la situation du site, il convient de distinguer les espèces nicheuses locales, de passage c’est à dire en migration, ou présentes en estivage ou en hivernage.

Au niveau de l’impact sur les espèces nicheuses protégées, et qui exploitent à proximité des sites de reproduction, de repos, ou de gagnage ou nourrissage, on retiendra en priorité la mouette tridactyle, le fulmar boréal, et le cormoran huppé. Mais de nombreuses autres espèces méritent l’attention, dont des laridés.

En second lieu, et non des moindres, il convient de porter l’attention sur les espèces en migration qui seront exposées à un risque, et des dommages, du fait de l’implantation du parc éolien au cœur d’un « flyway », ou voie de migration essentiel(le), Et là, il n’est plus possible d’élaborer une liste des espèces protégées concernées, tant elle est longue et variée. Les migrateurs aux longs courts qui nichent en zone sub-arctique ou à des latitudes plus ou moins élevées, sont légion, qui empruntent cette voie de migration pour aller hiverner en Afrique, du sud, de l’ouest, du nord, ou bien dans la péninsule ibérique, ou l’ouest de la France. Mais, s’y ajoutent des migrateurs partiels, qui effectuent si nécessaire - des déplacements plus localisés, c’est à dire, régionaux ou internationaux, mais non intercontinentaux. Dans ces espèces, on trouve autant d’oiseaux terrestres, que d’oiseaux d’eau, terrestres, maritimes ou marins, qui partagent les mêmes couloirs de migration, en provenance de diverses origines.

La Manche est un « Channel », comme l’ont baptisé à raison les anglais. Et c’est donc un couloir essentiel, qui draine une migration essentiellement originaire de l’Atlantique Nord (Groenland, Islande, et îles plus ou moins nordiques), et, plus accessoirement alimente les zones d’hivernages adoptées par des oiseaux d’origines plus orientales et continentales. Le flyway Manche-Atlantique est classé en qualité de voie de migration essentielle au niveau de l’AEWA : Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie ; qui sert désormais de référence et guide aux actions de conservation pilotées et soumises à la Commission de Bruxelles, en vertu d’accords avec tous les pays concernés et les ONG et Organisations Internationales ad hoc, telles que l’UICN, Birdlife, ou Wetlands International.

Enfin, il y a des migrateurs, souvent marins, qui sont présents dans notre région en été, ou en hivernage, et qui sont inféodés au site, à un moment ou à un autre du cycle des saisons, et de leur propre cycle biologique.

Le sujet est si vaste, qu’il va falloir résumer, et prendre des exemples. Pour le simplifier et le rendre intelligible.

Je vais m’efforcer de le faire, comparativement aux arguments énoncés dans des études d’impact qui ont servi de base à l’examen du projet, mais qui sont insignifiantes du fait de la faiblesse de leur protocole scientifiques, de l’indigence des données récoltées et analysées, et de leur obsolescence au regard de la dynamique d’évolution des espèces et de leurs comportements.

Les espèces maritimes nicheuses locales :

A proximité immédiate du site d’implantation du parc de Courseulles sur mer, on trouve 2 colonies de mouettes tridactyles, ainsi qu’un linéaire de 50 kms de falaises où nichent quelques dizaines de couples de fulmars boréaux. En approchant du Cotentin, on trouve les iles St Marcouf, qui sont un site privilégié de cormorans (grands, et huppés) et de nombreux autres oiseaux marins : laridés...
Il est singulier de constater que ceci semble avoir en grande partie échappé aux autorité et acteurs chargés de l’étude d’impact du projet de parc éolien en cause.
Deux études ont bien été effectuées pour évaluer l’impact potentiel de ce parc sur les colonies de mouettes tridactyles, mais elles ont abouti à des conclusions qui sont contredites par une autre étude indépendante, dont le protocole et les analyses sont des plus robustes.
(Ref : https://oiseaux-marins.org/upload/iedit/1/pj/234_1577_201401_FR_Suivi_des_oiseaux_marins_et_des_aires_marines_protegees_de_la_Manche.pdf

Je cite : page 22 : « Les oiseaux de la colonie de Saint Pierre du Mont (en bleu sur la carte) exploitent l’ensemble de la baie de Seine, 1 individu est monté jusqu’en Mer du Nord au large de la côte Est de l’Angleterre effectuant ainsi un parcours de plusieurs centaines de kilomètres en quelques jours, un autre a longé la côte sud de la Grande Bretagne (sud de l’ile de Wight). Le gros des troupes fréquente préférentiellement le centre de la Baie de Seine, ainsi les ZPS « Baie de Seine occidentale » Falaises du Bessin » sont bien exploitées par ces oiseaux ainsi que la SIC « Récifs et marais arrière-littoraux du cap Lévi à la pointe de Saire » située au large de la pointe Nord Est du Cotentin. Afin de préserver l’ensemble de la zone fonctionnelle utilisée par ces oiseaux, nous pouvons noter une lacune de désignation dans le centre de la Baie de Seine. Enfin, si nous nous intéressons au risque potentiel d’interactions avec le projet de parc éolien de Courseulles sur Mer, les oiseaux fréquentent de façon importante le site d’implantation de ce projet ... »

D’autres part, les fulmars boréaux, qui sont pourtant une autre espèce emblématique de notre région ont été écartés des études d’impacts.
Pourtant, en 2017, la préfecture du Calvados s’est vue soumettre un arrêté de biotope, visant, entre autres, à la conservation de la colonie nicheuse de fulmars boréaux des Falaises du Bessin : Ref : http://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_synthese_vf.pdf

Or les falaises en question s’étalent de Tracy-sur-mer à la Pointe du Hoc, et les fulmars concernés sont, tout autant que les mouettes tridactyles, ou les cormorans huppés, susceptibles d’exploiter assidûment la zone qui sera occupée par le parc éolien.

Les cormorans huppés nicheurs locaux (St Marcouf) n’ont pas fait l’objet d’une étude plus poussée, alors que les études en cours ont largement démontré que l’implantation d’un parc, ou d’autres, dans leur zone d’exploitation de ressources en vue de garantir leur nidification, et d’éviter un déclin de leurs colonies, était inscrit dans les données prioritaires de l’Agence Environnementale.

En conclusion, il ressort de l’analyse conjointe de l’ensemble de ces données, études, et avis versés au débat, que les risques d’altération des espèces locales ou migratoires, dommages, dégradations ou altérations d’habitats qui seront subis directement ou indirectement par l’avifaune et les mammifères marins de la zone du projet sont de nature à justifier un éloignement des sites d’implantation des projets de construction vers le large.

Une réponse judicieuse, satisfaisante, et respectueuse de la condition première d’attribution légale des dérogations nécessaires, serait à l’évidence d’éloigner les sites d’implantation des projets de construction vers le large